Pour la plupart d’entre nous, personne âgées rime avec dépendance. Vieillir rendrait dépendant. Dépendant de sa canne pour marcher, de ses lunettes pour voir, d’un chauffeur pour le conduire, d’une aide pour s’habiller, etc, etc. Pourtant, toutes les personnes dépendantes ne sont pas vieilles et tous les vieux ne sont pas dépendants, alors qu’en est-il réellement ? Et d’où nous vient cette idée ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’intéresser à l’histoire du mot dépendance.
Il a la particularité d’être associé aux personnes âgées parce qu’il a été utilisé pour la première fois par un gérontologue du nom de Yves Delomier en 1973 pour remplacer les termes invalide ou grabataire. Il utilise ce mot dans les termes suivants : « le vieillard dépendant a donc besoin de quelqu’un pour survivre, car il ne peut, du fait de l’altération des fonctions vitales, accomplir de façon définitive ou prolongée les gestes nécessaires à la vie « .
C’est une définition péjorative qui voit la dépendance du point de vue de l’incapacité et de la soumission, où la vie du « vieillard » est « sous » la coupe d’une tierce personne qui fait pour lui les gestes qu’il « ne peut plus » faire.
Pourtant, lorsque l’on regarde la définition classique du mot « dépendance », il s’agit simplement d’être lié à quelque chose ou quelqu’un. Dépendre de, c’est être dans une relation de causalité ou de solidarité avec l’autre. Une définition qui écarte ce rapport de dominant dominé entre chaque partie prenante et qui est à mon sens plus juste. Par exemple, certaines activités extérieures dépendent de la météo. S’il pleut, je n’irai pas faire du vélo.
Un deuxième élément de réponse nous ait apporté par Bernard Ennuyer, docteur en sociologie, dans son article « La discrimination par l’âge des personnes âgées ».
La thèse de Bernard Ennuyer est que les politiques publiques autour de la vieillesse ont participé à la construction d’une image négative de celle-ci. Selon lui, les politiques publiques se représentent le vieillissement de la population comme un défi à surmonter, un problème social à régler, une menace économique à contrecarrer. Il cite comme exemple le rapport Laroque pour qui « l’entretien des personnes âgées inactives fait peser une charge de plus en plus lourde sur la population active », un rapport qui met en avant un problème économique mais aussi psychologique de l’accroissement des personnes âgées car ce rapport ajoute » le vieillissement se traduit par le conservatisme, l’attachement aux habitudes, le défaut de mobilité et l’inadaptation à l’évolution du monde actuel ».
Comment ne pas se représenter une image négative des seniors en lisant cela ?
Autre argument à sa thèse, la création de l’APA en 2001, acronyme pour allocation personnalisée d’autonomie destiné aux personnes âgées de 60ans et plus. Ici, on cherche à euphémisme dépendance par perte d’autonomie. Mais est-ce vraiment la même chose ?
L’idée principale est que les politiques publiques identifient les personnes âgées comme un groupe social qui va poser problème tout simplement parce qu’ils sont vieux, qu’ils coûtent de l’argent et ne produisent rien. Et bien sûr, cette représentation négative de la vieillesse vient légitimer nos propres préjugés sur les vieux et la dépendance.
Par exemple, penser que votre vieux voisin ne peut plus sortir la poubelle alors qu’en réalité il le fait très bien quand vous n’êtes pas là. Ou penser que tel ou tel acte est insensé parce qu’il est trop vieux, « tu ne vas pas t’acheter une nouvelle cuisine à 80 ans quand même ? » ou « tu n’as plus l’âge de tomber amoureux! ».
Parce que NOUS associons la vieillesse à la dépendance, ILS se retrouvent coincés dans une image qui ne les représente pas, voir entravés par nos remarques et jugements ou pire avec une vieille cuisine.
De plus, si on regarde de plus près les chiffres, seulement 8% des 60 ans et plus et 20% des 85 ans et plus sont considérés comme dépendants selon le ministère des solidarités et de la santé.
Alors changeons de regard sur la dépendance, repensons sa définition sans limite d’âge. Est-ce qu’une personne âgée qui utilise un service de portage de repas est vraiment plus dépendante qu’une personne se faisant livrer ses repas chaque midi sur son lieu de travail ?
Nous sommes tous liés à une tierce personne pour différents gestes du quotidien et cela ne fait pas pour autant de nous des personnes en perte d’autonomie car comme le disait Durkheim (193) « Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ? »
Alors ne confondons pas dépendance et perte d’autonomie et assurons nous que quel que soit notre âge, notre capacité à décider par nous-même soit respectée.
Nous sommes tous dépendants des uns des autres. Mais si comme moi ce mot vous déplaît, je vous propose de changer de terme, et de ne plus parler de dépendance mais d’interdépendance.
Ce qui m’amène à vous poser la question suivante : comment préserver l’autonomie dans ces relations d’interdépendance ?